L’abeille, insecte déconcertant, attachant, et si utile à l’humanité!

De 10 à 20 000 abeilles en fin d’hiver, jusqu’à 60 000 au début de l’été, la ruche est résolument une famille nombreuse, ou plutôt une communauté, dotée d’une structure et d’une hiérarchie à la fois stricte et mouvante, régie par un “instinct collectif” et un système de régulation véhiculé essentiellement par les phéromones (c’est à dire des odeurs tantôt stimulatrices tantôt inhibitrices produites par la reine et les abeilles elles-mêmes).

En effet, les abeilles d’une même ruche ne sont pour la plupart que des demies-sœurs, puisque la reine a été fécondée par 12 à 25 mâles différents, donnant lieux à autant de “sous-fratries”, tandis que les mâles, eux possèdent exactement le même patrimoine génétique que la mère (parthénogenèse).

Ces éléments, pêle-mêle, permettent surtout d’entrevoir le fait que c’est la colonie dans son ensemble qui constitue le véritable individu, au sens où nous l’entendons, du grand peuple Apis Mellifera. Un individu à la fois complexe, résilient, très performant lorsque les conditions lui sont suffisamment favorables, mais à la fois extrêmement vulnérable, et soumis en permanence à de multiples formes de stress, de pressions, de carences.

A chaque fois que j’ouvre une ruche, un frisson me traverse, à l’idée de profaner cet antre sacré, cette maison douillette que j’ai modestement mis à leur disposition. La nécessité, doublée d’une pointe de curiosité il est vrai, l’emporte généralement sur mes scrupules: nécessité de m’assurer que tout est en ordre, que les provisions ne manquent pas, que les parasites ne risquent pas de prendre le dessus…

Et lorsque la magie opère, que les essaims se développent, et que le miel s’accumule dans les hausses, c’est un sentiment de gratitude bien plus que de satisfaction, qui se double d’une curieuse sensation de complicité aboutie avec mes petites collaboratrices. Pour ma part je m’efforce de créer les conditions, lever un maximum d’obstacle, et optimiser le contexte (par exemple via les transhumances…), pour que la colonie puisse se développer de façon optimale au point de dégager un surplus suffisant pour que je puisse y prélever une rétribution à mon travail.

Il est important d’avoir à l’esprit que, sur une année complète, une colonie peut produire plusieurs centaines de kg de miel cumulés, dont elle consomme une grande partie au fur et à mesure, et que la récolte moyenne par ruche de l’apiculteur oscille entre 15 et 25 kg sur la même période. Il est donc excessif de considérer la récolte de miel comme un pillage (on ne prélève qu’une partie du surplus). Nous veillons également à ce que la colonie ne soit pas en danger du fait de l’absence prolongée de ressources dans l’environnement, et effectuons des apports palliatifs de sucre, voire de pollen, lorsque la survie de la colonie est menacée. C’est surtout le cas pour les jeunes essaims qui n’ont pas encore l’autonomie et les réserves suffisantes.

L’abeille sait aussi se faire respecter et nous rappeler à l’ordre de manière cuisante lorsque les gestes sont erronés, ou lorsque les conditions pour ouvrir la ruche ne sont pas réunies. Mais cet instinct de défense, que l’on nomme trop souvent “agressivité”, est un véritable atout pour cultiver la maîtrise de soi, la précision des gestes, et le profond respect que l’on doit à cet être si prodigieux.

C’est au contact de ces insectes, pour lesquels mon affection n’a fait que croître à mesure que je les côtoie, que j’ai le plus pris conscience de notre place dans le monde, du caractère miraculeux et de la fragilité de la vie, et de la beauté de cet équilibre si précaire. Une prise de conscience qui encourage forcément à faire le maximum pour protéger ces espèces insignifiantes d’aspect, mais tellement irremplaçables.